Le sport, chemin vers la résilience

Durant trente ans, l’australienne Susan Berg a été incapable de nager, traumatisée par un naufrage auquel elle a survécu, enfant, et dans lequel ont péri ses parents et son frère. Devenue nageuse émérite, elle rêve de traverser la Manche en solitaire.

« Je n’ai pas oublié la date. Elle ne me quittera jamais. 27 octobre 1985. J’avais 15 ans. Avec mes parents et mon frère, nous sommes sortis en bateau pour pêcher, dans la baie de Western Port, au large de Melbourne. Après quelques heures, mon père m’a demandé de prendre la barre. Soudain, tout s’est arrêté : moteur coupé, plus de courant à bord. J’ai entendu mon frère crier : « Il y a de l’eau dans le bateau. » Le fond était pourri, nous ne le savions pas. En moins d’une minute, la coque s’est retournée. Il commençait à faire sombre, mais nous avions des gilets de sauvetage. Notre seule option était de nager pour atteindre la côte.

Dans la famille, le meilleur nageur était mon frère. Il avait un coach personnel et pratiquait la natation en compétition. Il est resté avec mon père, j’ai nagé avec ma mère. Nous avons pris la même vague, mais après environ une heure dans l’eau, j’ai fini par ne plus voir ni entendre ma mère. J’ai continué, seule, avec une idée fixe : rejoindre le plus rapidement possible la terre ferme pour trouver du secours et sauver ma famille.

La nuit est tombée. La seule lueur venait de la lune. À un moment, j’ai senti la présence au-dessus de moi d’une nuée d’oiseaux. J’étais certaine qu’ils avaient repéré un requin et attendaient qu’il m’attaque. Après plus de trois heures et environ 3,5 km de nage, j’ai pu atteindre la terre. Je pensais qu’il s’agissait de la côte, mais j’étais sur une île, French Island, une ancienne prison habitée par une soixantaine de personnes. Deux chemins s’enfonçaient dans le bush. J’ai pris à droite. Après un kilomètre, j’ai repéré une maison, où un vieux couple prenait le thé. Ils m’ont ouvert. Ils ont appelé les secours. En attendant l’arrivée d’un hélicoptère, ils m’ont exhorté à prendre une douche pour me réchauffer. J’étais saine et sauve, mais je ressentais une telle culpabilité à être là, dans cette maison, pendant que mon frère et mes parents tentaient de survivre dans l’océan, que je ne pouvais pas m’arrêter de pleurer.

Le lendemain matin, à 7 heures, les secours ont retrouvé le corps de ma mère. Une demi-heure plus tard, ils ont repêché celui de mon frère. À 8 heures, ils ont repéré le corps de mon père. J’avais 15 ans. J’étais une orpheline. Pourquoi avais-je survécu ? Pourquoi moi, alors que je tenais la barre ? Ces questions m’ont hantée pendant des années. La seule vue de l’eau me terrorisait. Il m’a fallu deux ans pour pouvoir prendre un bain sans ressentir un sentiment d’angoisse. Pendant trente ans, je ne suis plus jamais allée dans l’eau, que ce soit dans une piscine ou à la plage.

En 2015, un ami m’a suggéré de m’inscrire à une épreuve de natation de bienfaisance, disputée sur un peu plus d’un kilomètre. J’ai accepté, je suis retournée à la piscine. La première séance a été catastrophique. Au bout de deux longueurs, j’ai dû sortir, je ne pouvais pas respirer. La nage libre m’était impossible, j’étais incapable de mettre la tête sous l’eau. Le bruit d’un oiseau faisait remonter à la surface les souvenirs du drame. Malgré tout, j’ai insisté. J’ai pris l’habitude de me rendre à la piscine plusieurs fois par semaine. Mais après quatre mois à ce régime, je ne parvenais toujours pas à me débarrasser de mon angoisse. J’ai même demandé à mon médecin si je pouvais prendre du Valium (anxiolytique) avant d’aller nager.

À dix ou douze mois de la course, un entraîneur local a proposé de me prendre en charge. Je ne pouvais toujours pas enchaîner plus d’une longueur de 25 mètres, mais il a su trouver les mots. Il m’a expliqué : « Susan, chaque fois que tu te mets à l’eau, tu es réunie avec ta famille. » Il nageait avec moi. Peu à peu, j’ai commencé à éprouver du plaisir. J’ai participé à l’épreuve. À l’arrivée, j’ai ressenti une immense fierté. J’avais non seulement affronté ma peur, mais je l’avais aussi surmontée. Six semaines plus tard, j’ai pris le départ d’une deuxième compétition, la Rip Swim, disputée sur 3,2 km, dans des conditions plus exigeantes. J’ai été chaperonnée par un groupe de six nageurs.

J’ai réalisé à cette époque que la natation m’était devenue nécessaire. Sans elle, il me manquait quelque chose. Je me suis lancé de nouveaux défis. Au mois d’août dernier, j’ai bouclé la traversée de la Manche en relais, avec trois autres nageurs. Trois fois une heure chacun. J’ai terminé, j’ai accosté en France. J’envisage maintenant de le faire en solo.

Je m’entraîne cinq à six fois par semaine. Vingt-cinq à trente kilomètres au total, avec des sorties pouvant aller jusqu’à une quinzaine de kilomètres. Le matin, je nage en mer, dans la baie. Nous sommes un bon groupe. On se retrouve à 6 heures. Il fait nuit au départ, mais le jour se lève quand nous sommes encore dans l’eau. C’est magnifique. Je ne sais pas si le sport m’a sauvée, mais je suis sûre que nager m’aide à me sentir mieux, physiquement et mentalement. Dans l’eau, je suis heureuse, en paix avec moi-même. »

Cet exemple témoigne de la force de résilience dont l’homme peut faire preuve, la faculté qu’il a à surmonter ses peurs même les plus grandes ! Message de courage et d’espoir !

« La force ne vient pas des capacités physiques mais d’une volonté invincible ». Mahatma Gandhi

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